Verde Prato, douce rebelle

Verde Prato, douce rebelle

Texte : Manuela Estel / Photos et vidéos : Verde Prato
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Avec Verde Prato, Ana Ursuaga a bâti un univers musical unique, inclassable, qu’elle fait résonner partout en Europe.

Un soir de 2019 à Bilbao, Ana Ursuaga se cherche un nom de scène à la va-vite. Elle vient d’accepter de jouer pour la première fois en solo pour un concert de musique expérimentale. Mais pas sous son vrai nom. « Je ne voulais pas que tous mes amis débarquent », raconte-t-elle. Alors elle cherche un nom flou, qui ne révèle rien de l’artiste, fille ou garçon, solo ou groupe.

C’est là qu’une image lui revient. Une vieille affiche qui orne depuis toujours les murs de la maison de ses parents à Tolosa. Celle d’une pièce de théâtre montée par sa mère quand elle était petite, intitulée Verde Prato. Spontanément, Ana en fait son nom de scène et se lance dare-dare dans la création de trois chansons.

Six ans plus tard, “Neskaren Kanta”, l’un des morceaux improvisés pour ce soir-là, tutoie les 2 millions d’écoutes sur Spotify. Et le nom “Verde Prato” s’affiche sur des salles de concerts et des festivals partout en Europe.

C’est là tout le paradoxe de Verde Prato : une musique née de la discrétion, mais portée par une voix impossible à ignorer. Un projet unique, à la fois ancré dans l’intime et tendu vers l’universel.

La voie d’une inclassable

Définir le style musical de Verde Prato, c’est la question à cent points. Elle-même hésite, cherche et lâche, dans un sourire : « éclectique ». Et comment pourrait-il en être autrement ? Ana Ursuaga a grandi dans l’éclectisme.

Sa mère enseignait le théâtre. Son père, peintre en bâtiment, lui a transmis sa passion pour les livres et la musique. Et ses tantes pianistes l’ont poussée très tôt vers le clavier. L’art sous toutes ses formes est omniprésent chez les Ursuaga.

Enfant, Ana se sent déjà à part. Elle dévore des livres, préfère les films en version originale et s’éloigne peu à peu des goûts de ses camarades. « Tolosa, c’est petit. On peut vite y être hors norme. Moi, ça m’a donné envie de partir, de voir ailleurs. » L’art devient alors un refuge et bientôt, une voie.

Après le bac, elle rejoint les Beaux-Arts de Bilbao et cofonde avec deux amies le trio libre et bruyant de Serpiente. « On s’éclatait à faire de la musique, on se fichait de comment ça sonnait. » Le groupe expérimente une version bien à elles du post-punk, avec Jayne Casey, Cate Le Bon et Siouxie and the Banshees en inspiration. « Le fait d’être un groupe de filles, ça changeait tout. Pas d’attente. Pas d’objectif précis. Juste l’envie de créer. »

C’est lors d’un concert de Serpiente que l’artiste Jon Mantxi la repère. Il l’invite à jouer en solo. C’est la naissance de Verde Prato. Rien qu’avec les trois premiers morceaux joués ce soir-là, elle pose les bases d’un univers à la fois singulier et varié : “Neskaren Kanta”, un reggaeton spectral, “Mutilaren Kanta”, une incantation envoûtante, et “Galtzaundi”, une chanson traditionnelle passée au filtre de l’électro minimaliste.

Tout de suite, les invitations tombent. Elle crée de manière prolifique. Les concerts s’enchaînent et, sans qu’elle ne l’ait jamais envisagé auparavant, Ana Ursuaga fait voyager Verde Prato (et l’euskara !), de Tolosa à Prague, des Açores à Londres.

« Sa mère lui dira plus tard que Verde Prato est le titre d’un conte de Giambattista Basile, où la princesse sauve le prince.”

Sur scène, une œuvre complète et engagée

Sa mère lui dira plus tard que Verde Prato est le titre d’un conte de Giambattista Basile, où la princesse sauve le prince. Ana ne pouvait pas mieux tomber. Car d’emblée, elle trace sa propre voie. Une proposition radicale qui convoque autant l’héritage des bertxularis et les chants liturgiques que la performance contemporaine.

À l’époque, une nouvelle vague artistique secoue déjà le Pays basque et l’inspire vivement. Ana cite notamment Mursego : « Elle jouait du violoncelle, lançait des boucles, ajoutait de l’électronique… C’était puissant, nouveau, ça m’a marquée. » Ana vient du trio Serpiente, où tout est permis, alors pourquoi taire cette envie d’expérimenter ? « Je me suis dit : si j’ai envie de faire du reggaeton, je le fais. Si j’aime le flamenco, j’en glisse dans un morceau. »
Son fil rouge, c’est son minimalisme. Seule sur scène, sans artifice ni accompagnement, elle impose sa présence magnétique. Un clavier, un looper, et une voix nue, qui joue avec les extrêmes. Presque rien et pourtant, tout un monde.

Si sa créativité est spontanée, presque organique, pour autant rien n’est laissé au hasard. Pas même les vêtements. Ana travaille avec une amie styliste pour composer des silhouettes qui échappent aux évidences. “Je ne veux pas qu’on voie juste une fille qui chante. Je veux qu’on ressente un projet complet. Quelque chose de théâtral, d’esthétique. Presque plastique.”
La scène est aussi le théâtre d’un geste politique féministe. « Je suis une femme qui compose seule, qui monte sur scène seule. C’est quelque chose que j’avais envie de voir, moi aussi, en tant que spectatrice. »

Le choix du basque a été moins réfléchi dans un premier temps. Il était naturel d’écrire dans sa langue maternelle. « Mais voir des gens partout en Europe danser sur ma langue, c’est un rêve ! Maintenant, c’est un parti pris auquel je tiens. »

Une douceur revendiquée

Verde Prato a enregistré son dernier opus “Bizitza Eztia” à Rome avec le producteur Donato Dozzy, figure de l’électro minimaliste. Avec l’Italie comme filigrane, elle part de ses expériences personnelles pour explorer une certaine idée de la dolce vita (bizitza eztia, en basque).

« Mais cette douceur, elle doit être pour toutes et tous. Sinon, ce n’est pas vraiment la dolce vita. » Car derrière l’électronique délicate, les thèmes forts affleurent : la nécessité d’un monde plus inclusif, la liberté, le féminisme, la pression sociale sur les corps des femmes.

Un album tout à fait à l’image des trois mots qu’Ana Ursuaga finit par trouver pour se qualifier : « Fille. Douce. Radicale. »

Néstor Basterretxea, pionnier du design basque moderne

Néstor Basterretxea, pionnier du design basque moderne

Texte: Peio Aguirre / Photos : Famille Basterretxea, Irungo udal artxiboa
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La première vocation de Nestor Basterretxea (Bermeo, 1924-Hondarribia, 2014) fut celle d’architecte. Cela ne l’empêcha pas de devenir artiste, casquette qu’il endossa pour aller explorer d’autres territoires créatifs tels que le cinéma, le design et même l’architecture.

Ses origines dans le design industriel remontent à la fin des années quarante à Buenos Aires, où le jeune Nestor poursuit ses études à l’Instituto Huergo et travaille comme illustrateur pour la multinationale suisse Nestlé. Il y apprend les principes fondamentaux de la perspective, de la délinéation et de la projection, qu’il mettra ensuite en pratique dans sa peinture et sa sculpture. Cette logique de design constituera son empreinte personnelle caractéristique, qu’il associera toujours à un esprit expressionniste et humaniste.

En 1957, il intègre l’Equipo 57 et explore les principes de l’interactivité spatiale. Aux côtés de Jorge Oteiza, il décore l’appartement de l’industriel et mécène Juan Huarte à Madrid. En 1958, il commence à concevoir pour H Muebles, une toute jeune entreprise de mobilier moderne. Il y rencontre d’autres designers, comme Gregorio Vicente Cortés, technicien et designer de confiance de Huarte.

Basterretxea est chargé de concevoir les premiers meubles du catalogue, alors qu’ils produisent le mobilier pour le Pavillon Espagnol à l’Exposition Universelle de Bruxelles de 1958, conçu par les architectes Ramón Vázquez Molezún et José Antonio Corrales. Les modèles de Basterretxea pour H Muebles se caractérisent par une structure métallique soutenue par un connecteur de type mécano, sur lequel reposent des assises moelleuses. Il dessine également des petites tables basses en bois ou en verre dotées de nervures métalliques asymétriques. Il conçoit pour H Muebles une première version du Diván H, l’un de ses designs signature les plus originaux.

Néstor Basterretxea et Jorge Oteiza avec la maquette de la Fondation Sabino Arana et la sculpture Cubos abiertos, espacios interiores, retenciones de luz, 1979. © J. García Koch / Archives du musée Jorge Oteiza
Photo publicitaire de mobilier Espiral, années 60. © Irungo udal artxiboa

Son expérience à Madrid et ses relations étroites avec des architectes et des designers, enrichies par les enseignements théoriques d’Oteiza, le familiarisent avec l’idéal d’intégration des arts encouragé par la Bauhaus. Il possède une grande maîtrise et un goût certain pour allier mobilier, ambiance, décoration et art. Lorsqu’il s’installe à la fin des années cinquante dans sa toute nouvelle maison-atelier d’Irun, il constate l’absence de mobilier moderne (à tuyaux ou en bois courbé) dans les foyers basques.

Il commence alors à tisser un lien entre l’industrie et la créativité, marquant le début de la modernisation du mobilier domestique. À Irun, il est chargé de l’architecture intérieure du salon de dégustation Aguirre et, en 1961, il devient associé dans une nouvelle boutique de Donostia appelée Espiral. Ce local, destiné à vendre des meubles nationaux et importés, sert également de bureau pour des projets de décoration et d’architecture intérieure. Espiral produit aussi quelques meubles en bois contreplaqué courbé, comme une banquette et sa petite table d’appoint en dibétou ou sipo, ainsi que d’autres tables en bois toutes simples.

On trouve dans les créations signées Espiral une inspiration nordique, austère ou un goût pour l’horizontalité japonaise. Espiral devient un lieu de référence pour celles et ceux qui souhaitent habiller leur foyer des dernières tendances. Ses locaux font aussi office de lieu de rencontre improvisé pour l’intelligentsia culturelle et intellectuelle de la ville. Parmi les créations les plus originales d’Espiral figure son jeu d’échecs, accompagné d’une boîte de rangement pour les pièces. Basterretxea reformule certaines de ses anciennes idées, comme le Diván H, dont il réalise un nouveau prototype, suivi d’une troisième version du canapé pour Biok. Cette obsession pour ses propres designs montre l’attachement profond de l’artiste à son travail.

Divan H, Biok, 1965. © Irungo udal artxiboa
Échiquier et pièces d’échecs, 1967. © Irungo udal artxiboa

« On observe chez Biok une évolution manifeste : l’austérité des premiers designs fait place à des formes organiques plus rondes, plus chaleureuses, plus pop.”

Les affaires d’Espiral se développent, et parallèlement, Basterretxea commence à travailler comme « designer de modèles exclusifs » pour Biok, une récente petite entreprise d’Irun spécialisée dans la production et la commercialisation de meubles, qu’il rejoint en tant qu’associé en 1965. Bien qu’Espiral et Biok soient deux entreprises distinctes, elles sont reliées par des associés communs, et le lien créatif entre les deux entités est assuré par le designer. Espiral devient le premier point de vente des meubles conçus et produits à Irun.

Chez Biok, Basterretxea développe tout son potentiel, en étroite collaboration avec les techniciens et les employés. Ils recourent à des techniques complexes d’ébénisterie et d’assemblage, et à un usage plus noble de bois africains. On observe chez Biok une évolution manifeste : l’austérité des premiers designs fait place à des formes organiques plus rondes, plus chaleureuses, plus pop. C’est une tentative d’échapper à la monotone sobriété du rationalisme, avec un mobilier haut de gamme qui ne sacrifie jamais la fonctionnalité ni le confort. C’est également l’époque de la révolution domestique portée par les revues italiennes Domus et Casabella, que Nestor recevait régulièrement chez lui.

Ce monde de références se mêle à une passion pour l’autochtone. Les pièces pour Biok portent le nom de villages côtiers : Orio, Zumaia, Getaria… La solide table de bureau Bermeo évoque la proue ou le brise-lames et se rapproche de nombreuses sculptures de l’artiste fondées sur des cercles et des demi-cercles. Ainsi, la nature et l’art trouvent leur traduction dans le design industriel : le dynamisme de la courbe, la spirale croissante, la forme inconstante des vagues… Cette période est marquée par l’engagement de Basterretxea en faveur de l’identité et de la culture basques. Ce n’est donc probablement pas par hasard que sa période la plus fertile chez Biok coïncide avec la gestation et la réalisation du long-métrage Ama Lur (1968), un jalon majeur de la culture basque pendant le franquisme.

Néstor Basterretxea, Julio Amóstegui et Fernando Larruquert sur le tournage de ‘Ama Lur’, documentaire considéré comme fondateur du cinéma basque, 1965. Photo de la collection José Julián Bakedano

En très peu de temps, Biok commence à participer à plusieurs des foires de design les plus importantes d’Europe, comme celle de Cologne. En 1968, Basterretxea conçoit deux variantes de son design le plus singulier et personnel, véritable manifeste esthétique qui reflète toute son idéologie stylistique : le fauteuil Kurpilla (variante phonétique de Gurpila, qui signifie « roue » en basque). Il s’agit d’un modèle au style « camp », doté d’une contrecourbe dans les accoudoirs, qui le hisse au rang des meilleurs designs des années soixante. La même année, Biok avait commercialisé avec grand succès le « système BK » de meubles modulaires pour la maison et le bureau.

Néstor Basterretxea avec les ouvriers de l’entreprise de mobilier Biok, Irun, années 1960. © Famille Basterretxea

Ensuite, Basterretxea esquisse sur papier et fabrique des petites maquettes, des photos et des displays de toute une série de prototypes visionnaires. Ce sera son testament dans le monde du design. Son expressivité d’artiste étant contrainte par la production standardisée, il prend ses distances avec Biok.

Ainsi s’achève son implication, qui aura duré un peu plus d’une décennie, dans le domaine du design industriel. Cette période aura été suffisante pour faire de Néstor Basterretxea une figure marquante en Espagne et un pionnier du design basque moderne.

Owantshoozi, créer ou mourir !

OWANTSHOOZI

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Texte : Nahia Zubeldia / Vidéo : Mito & Iker Treviño /

Photos : Owantshoozi
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Créer ou mourir !

À l’image du fumier qui fait pousser des roses, les déchets les plus improbables peuvent cacher de véritables trésors. Encore faut-il avoir le regard affûté et le savoir-faire d’Owantshoozi pour les déceler et les révéler au grand jour.

Après leurs études (Master à l’École de la Chambre Syndicale de la Couture Parisienne pour elle, Bachelor avec Prix de l’Authenticité à la Design Academy d’Eindhoven pour lui), frère et sœur décident de créer une marque.

Au moment de lui donner un nom, après avoir parcouru un dictionnaire basque de A à Z sans y dénicher aucun nom assez percutant, Ddiddue lance : « Owantshoozi ! ». L’interjection de surprise baptisera finalement la marque familiale. Il faut dire que ce nom leur va comme un gant : la surprise, c’est toute l’essence d’Owantshoozi. Celle qu’ils aiment déclencher chez les autres, mais surtout celle qu’ils cherchent à revivre, encore et toujours, dans leur processus créatif.

Car Juana et Ddiddue sont de grands enfants à l’œil plein de malice : les enfants d’un père défenseur de la culture et d’une mère amatrice de mode ; les petits-enfants de leur grand-mère, qui tenait une épicerie dans leur atelier actuel d’Ordiarp ; mais aussi les enfants de la Soule, province la plus sauvage du Pays Basque —dans le meilleur sens du terme, évidemment-. Loin d’eux la tentation de verser dans une mythologie basque folkloriste à la mords-moi-le-nœud. Ces deux-là sont profondément ancrés dans la modernité, mais ils ont la mythologie chevillée au corps, comme ce tatouage qu’ils n’hésitent pas à coudre sur la peau du Kautera, personnage de la mascarade souletine, relookant la tradition basque à coup de pop culture.

À la merci de la matière
Juana et Ddiddue n’établissent aucune hiérarchie entre les matières. Pour eux, le caoutchouc ne vaut pas moins que l’or, l’argent ne vaut pas mieux que la pierre. Car la valeur ne vient pas des matériaux mais du regard qu’on leur porte. En génies de la lampe, ils exaucent la botte en caoutchouc qui rêvait de devenir casquette, la toile de parachute qui voulait être un sac à main ou à la dalle de sol de la RATP qui se voyait déjà en haut de l’arbuste, sous forme de nichoir.
Les deux artisans méticuleux retroussent leurs manches pour faire danser aiguilles et ciseaux. Car ils font tout eux-mêmes, du design à la couture, de la réception de rebuts à la mise en boutique.

Ddiddue et Juana nagent à contre-courant du consumérisme et du jetable. Ils sont prêts à sauver tout ce qui leur tombe sous la main pour lui donner une seconde vie. À l’instar de Mary Poppins et de son sac à malice, ils parviennent à glisser dans une seule casquette une botte, une chambre à air de tracteur et une toile de parachute.

Solide légèreté
Si Juana et Ddiddue n’hésitent pas à se triturer les méninges, quand il s’agit de se poiler, ils ne sont jamais les derniers. La véritable sagesse, pour eux, consiste à choyer sa part de folie. Leur dernière création en est le témoin évident. Ces quatre coussins, réalisés avec un jeu de couture délicat, illustrent les quatre éléments à travers un fil interminable qui trace des dessins fins et complexes sur de la toile récupérée. Mais l’observateur attentif remarquera que le vent est représenté par une flatulence, et l’eau par une généreuse et foisonnante femme fontaine.

Cette audace humoristique, qui apporte une dimension supplémentaire au travail d’Owantshoozi, met également en lumière l’humilité de Juana et Ddiddue : leur création ne cherche jamais à fournir des réponses mais à susciter de nouvelles questions. Ils ne considèrent pas le client comme un simple récepteur passif d’objets finis. Ainsi, leurs nichoirs, réalisés à partir de sols de la RATP, sont conçus comme des puzzles que chacun et chacune peut assembler chez soi, sans clou ni vis. Les designers généreux choisissent ainsi de partager avec l’acheteur le frisson du processus créatif.

Des accessoires décorés
S’ils avaient pu dire à leur grand-mère que des chapeaux et accessoires créés dans son ancienne épicerie leur vaudraient un prix Chanel et un prix Hermès, elle aurait sans doute eu du mal à y croire (se serait-elle écriée “owantshoozi !” ?). Eh oui, chez Juana et Ddiddue, ce sont les distinctions qui volent en escadrille. Pour autant, au sommet de la fame, ils n’ont pas laissé le temps à leurs chevilles d’enfler. Ni une ni deux, ils se sont remis au travail, fidèles à leur nature d’artisans appliqués et infatigables.

Loin des projecteurs, ils ont mis à profit ces récompenses pour nourrir leur créativité, travailler avec des ateliers de Chanel, découvrir de nouvelles machines et même s’en équiper, pour pouvoir travailler encore, travailler toujours, travailler mieux, sans jamais se lasser.
Car, comme ils disent, “Sorkuntza ala hil!” (Créer ou mourir !).

Sancheski, le premier skate en Europe

SANCHESKI

Texte: Naia Zubeldia / Photos: Mito
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La planche à roulettes basque Sancheski n’a rien à envier à ses homologues Outre-Atlantique. Grâce à une famille d’Irun, elle a sur adapter l’esprit du surf à la glisse urbaine.

En 1964, alors que les planches de surf envahissent les vagues de la côte basque, une planche d’un autre genre atterrit à l’aéroport de Biarritz. Le « roll-surf », ou « planche à surfer les trottoirs », débarque de Californie pour investir les espaces urbains de la région. Grâce à elle, une journée sans vagues n’est plus synonyme d’une journée sans glisse. Une petite révolution est en route.

De la neige à l’asphalte
L’événement ne passe pas inaperçu auprès d’une famille d’Irun. À la tête de Sancheski depuis 1934, entreprise de fabrication de skis et d’équipement de sport, la famille Sanchez peine à vendre sa production face à la concurrence croissante des marques françaises et autrichiennes. En 1966, le père décide de diversifier son activité. Outre les pentes enneigées, Sancheski adapte ses machines pour concevoir des planches destinées à dévaler le bitume.

Reste à promouvoir cette nouvelle activité qui n’en est qu’à ses prémices en Europe. Les frères Sanchez fondent la Sancheski Team et sillonnent l’Espagne et la France pour proposer des démonstrations de skate aux collèges et autres lieux qui veulent bien les accueillir.

Pionnière en Europe
La première marque de skate européenne est née. Les différents modèles de skateboards sont fabriqués à partir d’un même ensemble de matériaux : une base de bois massif montée sur des axes et des roues de patins à roulettes. Puis, des planches en contreplaqué cintré, en fibre de verre et enfin en polyéthylène avec le modèle « top naranja ». Ce modèle devient rapidement la référence au début des années 1970, jusqu’à être rebaptisé « el sancheski ».

Démonstration de skate par le Sancheski team à Madrid – 1978

« Le premier skatepark du continent est construit à Erromardie (Saint-Jean-de-Luz) en 1977.”

Une renommée déferlante
Des améliorations techniques sont vites apportées à la planche, notamment la roue en uréthane en 1973, véritable révolution. Plus durable et offrant une meilleure tenue de route, elle ouvre la voie à l’explosion du phénomène skate, qui devient international. L’engouement dépasse les frontières du Pays basque pour s’étendre à toute l’Europe. Le premier skatepark du continent est construit à Erromardie (Saint-Jean-de-Luz) en 1977. Puis les villes de Getxo, Gernika et bien d’autres se munissent de rampes pour attirer les riders.

Sancheski a inspiré de nombreuses autres marques de skate locales, mais elle continue, portée par la nouvelle génération de la famille Sanchez, de proposer des planches toujours plus performantes et innovantes. La dernière en date ? Le « Surf-skate », créé à l’occasion des cinquante ans de la marque en 2016, dont l’axe plus souple permet de réaliser en ville des figures semblables à celles du surf. Sur les pavés, la plage.

« Ombuaren Itzala » ou l’ombre du bertsolari Otaño

« Ombuaren Itzala » ou l’ombre du bertsolari Otaño

Texte : Manuela Estel / Photos : Ombuaren hitzala
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Grâce à la participation collective, le film rend au peuple basque l’héritage culturel légué par Otaño.

« Ombuaren Itzala », réalisé par l’acteur et réalisateur Patxi Biskert, répond à une volonté de faire connaître la vie et l’œuvre du bertsolari (chanteur improvisateur) et poète Pello Mari Otaño Barriola (Zizurkil 1857 – Rosario, Argentine 1910).

Si Otaño a longtemps occupé une place de choix dans la culture basque, au fil du temps, sa figure est peu à peu tombée dans l’oubli. Le film, produit par Eguzki Art Zinema, a pour objectif de redonner vie à la mémoire d’Otaño et de la transmettre aux jeunes générations.

Origines et développement du projet
Patxi Biskert œuvre sans relâche depuis de nombreuses années pour que le film « Ombuaren Itzala » (l’ombre du belombra) prenne vie. Pour financer le projet, il a mis en place un processus collectif et participatif à grande échelle, impliquant les citoyens, les communes, les associations culturelles et le réseau éducatif. Le projet, né grâce au soutien institutionnel et aux préventes des billets, est aujourd’hui projeté à travers le Pays Basque depuis novembre 2024.

Contenu et argument du film
Le film se déroule entre 1889 et 1910, les années les plus productives d’Otaño.
À cette époque, il émigre en Argentine avec sa famille, où il crée de nombreux poèmes et bertso qui le rendront célèbre parmi la diaspora basque. Le belombra ou raisinier dioïque est un arbre qui pousse dans la pampa argentine. Il inspira à Otaño l’un de ses poèmes les plus reconnus, qui en fit un symbole de la nostalgie liée à l’exil.

« Le film « Ombuaren Itzala » vient alimenter notre mémoire collective, en repéchant la figure de Pello Mari Otaño et sa contribution à la culture basque”

Production et diffusion
Le film a été tourné à Zizurkil et en Argentine, les deux principaux lieux de vie d’Otaño. Il a été présenté en avant-première en l’église San Millan de Zizurkil le 30 novembre 2024, en présence du réalisateur Patxi Biskert, de son acteur principal Joseba Usabiaga et d’autres acteurs et opérateurs ayant participé au projet.

Il est actuellement en tournée dans plusieurs villes du Pays Basque. Si aucune date n’est encore définie pour une projection au Pays Basque Nord, espérons que nous aurons l’occasion de le voir dans nos salles prochainement. Par ailleurs, le film ne s’arrêtera pas aux portes des cinémas. Comme un juste retour des choses, le documentaire a été conçu pour être projeté dans d’autres lieux associatifs ou culturels du Pays Basque et exploité dans les établissements scolaires du territoire.

Le film « Ombuaren Itzala » vient alimenter notre mémoire collective, en repéchant la figure de Pello Mari Otaño et sa contribution à la culture basque pour les mettre sous la lumière qu’elles méritent. Ce documentaire est par ailleurs une preuve supplémentaire de la force et de la solidarité de la communauté basque pour la préservation de son patrimoine culturel.

Otaño écrivait à la fin d’un de ses bertso, « Je suis motivé par la volonté d’aider la langue basque. Les sujets dont je dispose sont modestes, j’ai bien peu de choses à dire, mais j’y passerai avec joie mes nuits, mes jours, mes semaines et mes congés. Mes frères, je vous demande une petite place au Pays Basque ».

Ama euskerak hau esan zidan
jarririk begi alaiak.
Horregatikan nakar honera
berari lagundu nahiak.
Gutxi nezake, oso txikiak
dira nik dauzkadan gaiak,
bainan pozkiroz egingo ditut
gauak, egun, aste, jaiak;
leku pixka bat Euskal Herrian
eskatzeizuet anaiak.

(…)
Grâce à Patxi Biskert, à Eguzki Art Zinema, ainsi qu’aux opérateurs et citoyens engagés, la place d’Otaño est désormais assurée au Pays Basque si cher à son cœur.